Après des mois de séparation, «le P’tit Libé» a retrouvé vendredi la classe de CM2, au complet, de l’école primaire Vellefaux du Xe arrondissement parisien, de réseau d’éducation prioritaire (REP). Le site d’actu des 8-13 ans suivait ces enfants – qui ont drôlement grandi – depuis septembre pour réaliser un «Libé des enfants», finalement avorté à cause du confinement.

Vingt-et-un : le compte y est. La classe est enfin au grand complet depuis une semaine, après quasiment trois mois d’école à la maison. On n’aurait pas parié un kopeck là-dessus lorsqu’on les a quittés le 13 mars, le coeur lourd. La douce Ahlem se demandait alors inquiète «quand elle pourrait vivre à nouveau». À l’entendre rire avec ses copines, on se dit que ce moment est enfin arrivé.

Confinement ultra-strict

Les tables sont espacées d’un mètre et parmi ces pré-ados de 11 ans, seule Sonia porte un masque maison aux motifs colorés. Ses parents lui demandent de le garder, alors elle préfère «faire comme ils disent», souffle-t-elle. Le bout de tissu atténue d’autant plus ce filet de voix qui ne l’a pas quittée. Les autres se moquent, disent qu’elle a peur du coronavirus alors qu’eux, plus du tout. Sonia ne répond pas, reste droite sur sa chaise et esquive les regards. Elle confiera plus tard, dans le couloir, être rejetée par ses copines qui ne veulent pas jouer avec elle. Elle n’attendait que ça, après être restée enfermée durant tout le confinement. Pas une seule sortie, même pour les courses ? «Non, j’ai juste fait du vélo dans le garage.»

Xavier n’a pas non plus mis le nez dehors durant toute cette période, assure-t-il. Au début, c’était plutôt chouette. Ses parents ont un restaurant juste en dessous de l’appartement familial. Et, coup de bol, il venait d’acheter des raquettes de ping-pong. «On a regroupé les tables de la salle, ajouté un filet, et on a joué tous les soirs, c’était trop bien», raconte-t-il avant d’admettre qu’au bout d’un moment, «on en avait trop marre, on tournait en rond et on regardait tout le temps la télé. On ne faisait pas grand-chose. Il me tardait d’aller dehors.» Alors qu’a-t-il fait pour sa première sortie ? «Je suis allé chez mes cousins jouer à la Switch», lance-t-il tout naturellement. Les écrans aspirent les désirs d’évasion.

Xavier était plutôt du genre introverti avant. Là, il s’exprime avec assurance et raconte avec précision son expérience. Les mots semblent être restés trop longtemps coincés à l’intérieur, on ne l’arrête plus. Tout l’inverse de Lassana, qui avait une légère tendance à bouder lorsqu’il n’arrivait pas à saisir la parole au vol. Désormais au fond de la classe, il semble avoir poussé d’au moins cinq bons centimètres mais n’agite plus la main pour réclamer l’attention. Il faut aller le chercher pour l’entendre désormais. «J’ai bien aimé le confinement parce que j’ai passé plus de temps avec mes parents. On a fait des gâteaux, des jeux», dit-il avec le flegme d’un ado blasé. Lassana habite la cité de la Grange-aux-Belles, derrière l’école, comme la majorité des enfants de la classe. Deux de ses sept frères et sœurs, des jumeaux de trois ans vivent avec lui. «Ils étaient saoulants des fois mais je me suis rapproché d’eux, reconnaît le grand frère. Je faisais semblant d’être un monstre et ça les faisait rire».

Des élèves fatigués

Thanina en avait «ras le bol» de son petit frère : «A chaque fois qu’il faisait une bêtise, il disait que c’était de ma faute», se plaint-elle. Elle n’a pas aimé son confinement sauf les grasses mat’ jusqu’à 10 heures et les danses qu’elle diffusait sur l’application de vidéos TikTok. Ses copains de classe ont aussi passé des heures devant les écrans : Youtube, Snapchat, Instagram ou encore Fortnite, ce jeu vidéo en ligne adoré des ados, qui a dépassé les 350 millions d’adeptes au début du mois de mai. La maîtresse a retrouvé des élèves fatigués, les traits tirés.

Et le travail dans tout ça ? Tous répondent avoir bossé. Après un sondage à main levée, six assurent avoir un ordinateur à eux, huit un ordinateur à partager. Trois ont reçu une tablette envoyée par l’école, trois autres les cours envoyés chaque semaine par la Poste grâce à l’école. Certaines familles affirmaient n’avoir besoin de rien ; pas facile de dire qu’il manque du matériel à la maison. Pourtant, sans nouvelles de ses élèves, l’enseignante insistait, appelait les parents, un à un. À chaque fois, on lui répondait que tout se passait bien, par crainte du redoublement notamment.

Apprentissages perdus

Sauf que depuis leur retour, on voit bien que certains élèves ont perdu le fil. Les acquis se sont envolés : lecture et écriture sont devenus des exercices fastidieux alors qu’ils seront lâchés en sixième l’an prochain. Il y a tout de même de bonnes surprises : Doukoutou a visiblement fait d’énormes progrès grâce à sa soeur de 16 ans. Wendy était en revanche toute seule la journée à la maison – sauf le midi. «Il n’y avait pas la maîtresse pour m’expliquer quand je ne comprenais pas. Je suis pas à l’aise avec un ordinateur donc mon père m’imprimait les devoirs et je les faisais», raconte-t-elle en remuant sa queue-de-cheval. Wendy vit dans son monde et n’a pas abandonné son rêve de devenir architecte et soigneuse animalier : «Le problème c’est que j’aimerais trouver un métier qui fasse les deux.»

Quatre de ses copines de classe l’ont aidée à surmonter ces longues journées enfermées, grâce à un groupe Whatsapp créé au début du confinement. Elles lançaient un appel vidéo le matin et gardaient leur portable avec elles, pour communiquer jusqu’au soir. «On faisait comme si on était à l’école, explique Janna. On s’aidait, on avait un planning. Ça nous a fait du bien, parce que seules, on s’ennuyait sinon. On rigolait aussi. On faisait des actions vérités, comme « marche sur les mains » ou « est ce que tu aimes un garçon ? », des trucs comme ça», poursuit Janna, toujours la tête dans les étoiles. Plus tard, elle sera astronaute et gravira le Mont-Blanc, elle qui n’a jamais quitté la région parisienne. Elle s’est d’ailleurs beaucoup entraînée physiquement avec les vidéos du youtubeur Tibo InShape, très suivi par les pré-ados qui parlent abdos, crossfit et protéines, comme des addicts de salles de sport.

Pour leur maîtresse, ce retour en classe, même court, était indispensable, ne serait-ce que pour recréer une dynamique de groupe. La plupart apprennent beaucoup ensemble et leur école reste un lieu essentiel de socialisation. Les gestes barrières sont appliqués – distance dans les salles, gel hydroalcoolique distribué à l’entrée et à la sortie de la classe – mais l’ambiance s’est détendue et les enfants retrouvent vite leurs réflexes d’avant. Ils sont ravis de s’être retrouvés. Sitôt dehors, les garçons se touchent en jouant «à chat», leur jeu préféré, tandis que les filles parlent des vacances à venir. Certaines vont rester à Paris, d’autres voyageront en France ou à l’étranger. En septembre, la plupart se retrouveront en sixième, dans le collège du secteur. Les bébés du début d’année vont entrer dans la cour des grands.

FUENTE:liberation.fr/france/2020/06/27/eleves-fatigues-et-acquis-malmenes-un-bref-retour-a-l-ecole-necessaire_1792601