Un demi-siècle après le succès record de l’expo au Petit Palais, la Grande Halle de la Villette accueille à partir de ce samedi 150 pièces issues du tombeau du pharaon star.
Quelques momies aigries doivent se retourner dans leur sarcophage… Celles qui pensaient avoir expédié Toutânkhamon aux oubliettes de l’histoire en effaçant après sa mort, il y a quelque 3000 ans, son nom des cartouches et listes de ceux qui régnèrent sur l’Egypte antique. Car voilà, selon la tradition, pour qu’un pharaon entre dans la vie éternelle, il ne suffisait pas d’embaumer son corps, son nom devait continuer à être prononcé et honoré.
Le onzième souverain de la XVIIIe dynastie aura finalement échappé à l’oubli éternel. Et de quelle manière! L’exposition «Toutânkhamon, le trésor du pharaon» qui ouvre ses portes monumentales ce samedi à la Grande Halle de la Villette, à Paris, un demi-siècle après celle du Petit Palais, devrait une fois encore prouver l’incroyable popularité du pharaon. En provenance de Los Angeles, elle poursuivra sa tournée aussi exceptionnelle que médiatique à Londres et Sydney. Dix villes au total pour s’achever au Caire en 2022, cent ans tout juste après la découverte de la tombe par Howard Carter dans la Vallée des rois. Là, ses trésors prendrontplace dans le nouveau musée en cours de construction face aux pyramides de Gizeh (lire notre reportage).
S’appuyant sur une scénographie théâtrale, les concepteurs égyptiens de l’exposition ont reconstitué le chemin à accomplir pour assurer au défunt son passage dans l’au-delà, mettant en valeur 150 pièces authentiques issues du tombeau – dont certaines n’avaient jamais quitté l’Egypte.
La visite débute par une vidéo diffusée sur un écran 180 degrés. L’action commence dans la Vallée des rois, site qui abrita les tombes royales pendant cinq cents ans. La caméra balaie le paysage montagneux et désertique. On voit des groupes d’hommes étudier des cartes, fouiller, creuser la roche ou tamiser du sable… Le cadre est posé. Le visiteur peut pénétrer dans la première salle. Ici, les images, l’éclairage et les sons créent une impression de danger imminent. Le roi devait franchir les douze portes du monde des morts, chacune gardée par un gardien prenant la forme d’effroyables serpents, crocodiles ou autres êtres surnaturels; les armes et statuettes présentées dans cette salle étant censées l’aider dans son combat.
Colosse de pierre
La deuxième galerie est consacrée aux dieux. C’est là que l’on trouve les pièces les plus impressionnantes, dontle Gardien, puissante statue noir et or, qui veilla pendant près de trois millénaires sur le sommeil du roi. Ou ce délicat sarcophage miniature ayant contenu les viscères embaumés.
Vient ensuite la renaissance, illustrée par un arc de lumière évoquant le voyage de Râ, du lever du soleil jusqu’à son zénith. La salle présente le trésor fabuleux trouvé dans la chambre funéraire: bracelets, diadèmes, amulettes et parures où se mêlent l’or et les pierres précieuses. L’avant-dernière partie, avec vidéo et tableaux numériques, évoque la découverte et l’étude de la momie. Avant qu’une ultime pièce ne nous abandonne face à un colosse de pierre représentant notre héros. La star a déjà fait le show en 1967, au Petit Palais à Paris. Elle était arrivée (du moins 45 pièces de son immense mobilier funéraire), quelques jours avant Noël 1966, à bord d’un avion militaire. Cette année, c’est l’entreprise Fedex qui gère les transports. Seules les œuvres les plus lourdes ont pris le bateau. Il y a cinquante ans, c’est l’égyptologue Christiane Desroches Noblecourt, alors conservatrice au département des antiquités égyptiennes du musée du Louvre, qui avait voulu cette exposition, symbole des bonnes relations entre la France et l’Egypte après la crise du canal de Suez. Les bénéfices sur les entrées ont participé à financer le sauvetage des monuments voués à disparaître sous les eaux du lac Nasser, après la construction du haut barrage d’Assouan (Sud). Imagine-t-on au moment où l’affaire est conclue que l’exposition inaugurée le 16 février, en présence d’André Malraux, alors ministre de la Culture de De Gaulle, et de son homologue égyptien Sarouate Okacha, recevra une telle ovation? Pas sûr. On se presse tant et tant à «Toutânkhamon en son temps» que la rétrospective qui devait se clore en juin joue les prolongations jusqu’en septembre. Total: 1,2 million de visiteurs. Un record toujours inégalé.
Égyptomanie
Il faut reconnaître qu’une pièce méritait alors à elle seule la visite: le célèbre masque en or de Toutânkhamon. Celui-ci n’est pas du voyage cette fois : «C’est une icône de l’Egypte, comme l’âme des Egyptiens»,plaide le conseiller scientifique Dominique Farout, qui évoque un nationalisme attaché à ses trésors. Et quoi de plus normal ? «A votre avis, pourquoi la Joconde ne se déplace-t-elle pas ?» renchérit le directeur des antiquités égyptiennes du Louvre, Vincent Rondot, qui évoque un «enjeu patrimonial national» et des soucis de conservation. Son département a en tout cas fait un «geste» et prêté à l’expo une statue du Louvre, qui représente le dieu Amon protégeant Toutânkhamon.
Sans le fameux masque, le succès sera-t-il réédité –en dépit des tarifs quelque peu pharaoniques (1)? A en croire les spécialistes, l’égyptomanie des Français ne mollit en rien. «Au Louvre, sur les 10 millions de visiteurs par an, les antiquités égyptiennes sont parmi les plus contemplées», rappelle Vincent Rondot. Il faut dire que le scribe accroupi a fière allure. Mais aussi que la France occupe une place de premier rang dans l’histoire de l’égyptologie depuis la campagne de Bonaparte et le déchiffrement des hiéroglyphes par Jean-François Champollion. «Puisse ton âme vivre des millions d’années et puissent tes yeux admirer des merveilles…» La prière délicatement gravée sur un calice translucide du trésor sera sans doute une fois encore exaucée.
Fuente: https://www.liberation.fr/france/2019/03/23/beau-comme-un-toutankhamon_1716941