Le grand débat national, c’est parti. C’est dans le gymnase de la petite commune de Grand Bourgtheroulde (Eure), devant quelque six cents maires normands, qu’Emmanuel Macron a donné mardi 15 janvier le coup d’envoi de cette grande consultation censée répondre à la crise des « gilets jaunes », en donnant pendant deux mois la parole aux Français. Quatre grands thèmes sont sur la table : le pouvoir d’achat ; la fiscalité ; la démocratie et l’environnement.

Le président est arrivé peu après 15 heures dans le complexe sportif Bruno-Bénédetti de Grand Bourgtheroulde, où des édiles des cinq départements normands lui ont exposé les doléances de leurs administrés. Le maire de la ville, Vincent Martin (sans étiquette), a ainsi remis au chef de l’Etat le cahier de doléances des Therouldebourgeois, qui s’est rempli depuis l’annonce de sa venue. Les questions de justice fiscale – et plus précisément le rétablissement de l’impôt sur la fortune (ISF), rejeté par M. Macron dans sa Lettre aux Français –, de pouvoir d’achat des retraités et de mobilité arrivent en tête de leurs préoccupations.

« Il y a 35 questions » dans la lettre, mais « au-delà de celles qui sont écrites, toutes les questions sont ouvertes », a expliqué le locataire de l ’Elysée lors d’un court discours d’introduction :

« S’il y a des questions intelligentes, des sujets que je n’ai pas vus qui émergent, ils seront aussi pris. Il ne doit pas y avoir de tabou au moment où l’on se parle ».

Emmanuel Macron a ensuite écouté les maires se succéder au micro pour énumérer la longue liste des doléances de leurs administrés. « Monsieur le président, merci de votre démarche. Je vais vous parler du fond du cœur. La France est malade. Il y a une grande souffrance », a témoigné l’un d’eux. « On a des territoires où des malades décèdent, faute de soins », a regretté Anne-Marie Vousine, maire de Torigni-sur-Vire (Manche).

Les élus ont suggéré plusieurs réformes : baisser la TVA sur les produits de première nécessité, rendre des compétences aux maires… « Faites confiance aux maires », ont réclamé nombre d’élus. « Quelle garantie nous donnez-vous que seront pris en compte les éléments que nous transmettrons ? » a interrogé Sophie de Gibon, maire de Canteloup (Calvados).

Les maires de la région Normandie se sont exprimés face au président Macron à Bourgtheroulde (Eure), le 15 janvier.
Les maires de la région Normandie se sont exprimés face au président Macron à Bourgtheroulde (Eure), le 15 janvier. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR LE MONDE

« Toutes ces fractures, on les a devant nous, et d’un seul coup, les choses s’effritent », avait expliqué en préambule le chef de l’Etat, citant Jacques Chirac et sa fracture sociale. « Je pense qu’il ne faut pas du tout en avoir peur. Il faut refuser la violence (…) Il faut refuser la démagogie parce que l’addition des colères n’a jamais fait une solution, mais il nous faut construire les voies et moyens de construire des solutions pour le pays ».

Lors d’une séance de questions-réponses avec les élus, qui a duré près de sept heures, Emmanuel Macron s’est déclaré ouvert à des aménagements pour faire en sorte que la limitation de la vitesse à 80 km/h sur les routes secondaires soit « mieux acceptée » par les Français tout en étant « efficace »« Il faut ensemble que l’on trouve une manière plus intelligente de le mettre en œuvre. Il n’y a pas de dogme », a-t-il déclaré, en appelant les maires à « faire des propositions » sur ce dossier qui « fait partie du débat ».Lettre aux Français : les questions posées par Emmanuel Macron

Des personnes en difficulté « qui déconnent »

Avant de se rendre à Grand Bourgtheroulde, M. Macron a fait une visite surprise à Gasny, à 80 kilomètres, où il a participé au conseil municipal. Le chef de l’Etat a affirmé à cette occasion que la crise des « gilets jaunes » est une « chance » pour « réagir plus fort et plus profondément ». Emmanuel Macron a également dit son souhait que le grand débat débouche sur « une transformation de notre pratique démocratique ».

« On a des réflexes dans lesquels on a continué à s’enfermer collectivement. Le premier de ces reproches est pour le gouvernement, pour moi-même : “Quand on a la légitimité, on considère que c’est bon, ça y est, on peut y aller.” Or, même avec cette légitimité, il faut continuer à associer, partager. Le grand débat doit servir à ça. »

« Il faut constamment redemander aux gens leur avis. Je ne pense pas du tout que ce soit du temps perdu, que ce soit du temps pour arrêter les réformes car les gens veulent des changements », a-t-il poursuivi.

Au cours de ce conseil municipal, le président s’est également exprimé sur les personnes en situation de pauvreté, estimant qu’elles devaient être « responsabilisées » :

« Les gens en situation de difficulté, on va davantage les responsabiliser car il y en a qui font bien et il y en a qui déconnent. »

Emmanuel Macron dans le gymnase de Grand Bourgtheroulde (Eure), devant quelque six cents maires normands, le 15 janvier.
Emmanuel Macron dans le gymnase de Grand Bourgtheroulde (Eure), devant quelque six cents maires normands, le 15 janvier. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR LE MONDE

Comme le montrent les images tournées par un journaliste duFigaro et diffusées sur Twitter, il a également souligné que ces personnes étaient « tous acteurs » du traitement de la pauvreté, « en les considérant, en les responsabilisant, en les aidant à s’en sortir ».

L’utilisation du mot « déconner » dans ce contexte a été dénoncée par plusieurs responsables de l’opposition, dont Olivier Faure (PS) ou Valérie Boyer (LR) avant la séance des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale.

A 13 heures, M. Macron avait déjeuné dans un restaurant de Vernon avec le ministre chargé des collectivités territoriales, Sébastien Lecornu, en compagnie d’une dizaine de commerçants, d’artisans et de retraités. « Nous n’étions pas du tout informés. C’était vraiment l’invité surprise », rapporte Francis Decrette, jeune retraité. Parmi les convives figuraient un artisan menuisier, un petit patron de PME du bâtiment, un électricien, une boulangère, un paysagiste, un traiteur et quelques retraités. Chacun s’est exprimé à tour de rôle, exposant ses problèmes, ses difficultés ou ses souhaits. « C’était une sorte de cahier de doléances parlé, dans une ambiance très simple et très respectueuse, explique M. Decrette. Le président a beaucoup écouté, il n’a pas fait de discours. »

Des « gilets jaunes » rencontrent Emmanuelle Wargon

Des « gilets jaunes » de l’Eure ont souhaité participer à cette rencontre à Grand Bourgtheroulde et ainsi adressé une demande écrite au préfet. Dans leur courrier – que Le Monde a consulté–, les « gilets jaunes » de Brionne (Eure) demandent à pouvoir « exprimer certaines de [leurs] revendications principales (allégement d’impôts et des taxes, et mise en place du référendum d’initiative citoyenne notamment) » auprès d’Emmanuel Macron, et auprès des maires, « leur demander de bien vouloir accepter, à l’avenir, [leurs] déclarations de manifestation ».

Emmanuelle Wargon a reçu pendant 45 mn une délégation de « gilets jaunes » du rond point de Brionne dans l'Eure, le 15 janvier.
Emmanuelle Wargon a reçu pendant 45 mn une délégation de « gilets jaunes » du rond point de Brionne dans l’Eure, le 15 janvier. BENJAMIN GIRETTE POUR LE MONDE

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S’ils n’ont pas reçu de réponse positive à leur demande de rencontrer M. Macron, cinq d’entre eux ont toutefois pu s’entretenir avec la secrétaire d’Etat, Emmanuelle Wargon, qui est en charge de l’animation du grand débat national avec un autre membre du gouvernement, Sébastien Lecornu (collectivités territoriales). Cette délégation de « gilets jaunes » a été reçue par la secrétaire d’Etat sous les huées d’autres manifestants.Voir l’image sur Twitter

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Par ailleurs, plusieurs dizaines de « gilets jaunes », venus de Rouen, de Caen ou de Brionne tentaient depuis mardi matin aux aurores de rentrer dans la ville bloquée par les gendarmes qui ont procédé systématiquement à des contrôles d’identité et des fouilles de sac. Une centaine de « gilets jaunes » ont réussi mardi matin à contourner, à travers les bois, les barrages en place autour de la commune, pour rejoindre le bourg.

Fuente: https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/01/15/emmanuel-macron-rencontre-600-maires-normands-pour-lancer-le-grand-debat_5409182_823448.html